A chaque fois, le
même schéma. Je sais que l'on va se retrouver pour un court
instant. Ils sont toujours trop courts avec toi. Mais je sais que je
vais te voir, t'entendre, t'écouter. Je pourrais fermer les yeux en
t'écoutant parler. Me poser, oublier, m'oublier et me laisser bercer
par ta parole grave et douce. Il m'arrive de le faire.
Des passants se
bousculent ou avancent à toute allure vers des rendez-vous, des voix
de tout horizon nous entourent à la terrasse d'un café mais je ne
suis rien de la trame qui se joue devant nous. J'écoute. Tes mots,
tes yeux, tes silences. Je me laisse voguer aux ondulations de ta
voix.
Je pourrais parler
à ce moment là. Je pourrais rompre ces secondes de silence, hurler
mon angoisse, te dire que j'ai mal, que j'ai peur... Mais je ne veux
pas. Je ne veux pas gâcher ces instants. Ces courts instants. Tu me
caresserais la joue, m'embrasserais peut-être le front et verserais
sur moi de perles de réconfort.
Et alors je serais
ridicule. Ridicule de mon cri pathétique, geignant le désespoir,
face à tes sourires. Je garde ces moments de volupté où la fumée
de ma cigarette danse au rythme de tes histoires. Je me tais et
écoute pour quelques heures, tes paroles solaires qui guérissent
mes maux autour d'un thé ou d'un verre de rouge. Je ne voudrais pas
détruire ces moments de grâce, tu comprends ? Il y a déjà
assez de ruines autour de moi.
Pourtant, à chaque
fois, les pensées se bousculent dans mon esprit. Mais je ne dis
rien. Je n'ai jamais vraiment besoin de parler avec toi. Tu devines
si facilement mes fissures, mes blessures d'un simple regard dépourvu
de jugement. Que t'aurais-je dis, sinon ?
Que nous avons pris
des routes différentes. Que dès le début, nous n'étions pas sur
le même chemin. J'étais à la traîne mais tu as pris le temps de
t'arrêter pour me raccommoder et me relever à chaque échec
successif de ma vie. Oui, tu as pris soin de moi. Et depuis toutes
ces années, je n'ai rien fait pour toi hormis me morfondre dans tes
bras.
Tu as fait ta vie
ailleurs. Loin de moi, je ne t'en veux pas. Je me suis éloignée de
moi aussi. Comment pourrait-il en être autrement ? Tu ne
pouvais rien construire avec le vent. Ça ne valait pas le coup. Je
me suis entourée de faux-semblants pour devenir inatteignable.
Résistante à la douleur. En apparence. Je suis devenue forte,
solide, dure. Tout pour de faux mais tout pour vivre. A ravaler des
sanglots amers et des larmes acides. A maquiller des plaies pour
garder le silence. Ne rien dire, ne rien avouer.
Mais à chaque fois
le même schéma. Un rendez-vous d'un court instant où je retourne
au port. Où l'on se retrouve le temps d'une escale. Et au lieu de
parler, je te laisse me raconter, me détailler, me dessiner.
J'aurais voulu te détromper, j'aurais dû t'enjoindre à fuir ma
fragilité incisive. Tes mots me recouvrent d'un fin voile de soie et
je me laisse emporter par ta poésie loin de toute géométrie
variable.
A chaque fois, tu
es ou tu seras un père, un amant ou un frère. Peut-être un ami.
Compagnon de voyage, je laisse à chacun le soin de choisir le
conteur de sa vie, le portraitiste de notre être.
Ambre