La
lumière du monde. Il parle de lui, il parle de moi...
Peut-être de vous ?
Je tiens à vous faire partager des
extraits du livre de Christian Bobin, poète céleste,
Extraits :
« Pour ma part, j'ai parfois
l'impression d'être totalement incapable d'aimer, et, en même
temps, d'aimer plus que personne. Je vois très peu de monde, mais je
peux être indéfiniment avec l'autre quand il est là. Quand je suis
né, on m'a proposé le menu du monde, et il n'y avait rien de
comestible. Mais quand l'autre est vraiment avec moi, je peux
manger : je bois une gorgée d'air, je mange une cuillerée de
lumière. »
« L'écriture a par essence une
tendance autistique. Le poète est un autiste qui parle. […] Comme
l'autiste en se taisant, le poète s'ensevelit en écrivant : il
vit une gloire interne et il est mort pour le monde. »
« Encore tout enfant, j'ai quitté
mon corps et je suis entré dans mes yeux. […] Je ne me suis
jamais trop mêlé des affaires du monde. Je trouvais horrible le
sort fait aux autres et à moi dans cette vie-là. J'étais déjà en
retrait. J'avais un monde du dedans. […] J'avais en même temps un
étonnement et une lassitude d'être au monde. De temps en temps
l'étonnement prédominait, de temps en temps la lassitude. Si
j'étais tant attiré par la lumière, c'est parce qu'il y avait un
fond de ténèbres. J'étais très solitaire, plus familier des
enfants que je rencontrais dans les livres que de ceux que je voyais
dans la rue. La brutalité des garçons me rebutait. Les autres
enfants s'accommodaient de la surface des choses avec une gaieté
brutale. Moi, les groupes m'attristaient : je les ai toujours
redoutés. J'étais toujours sur mes gardes. »
« Pour ma part, plus mon regard
s'affine et plus mon absence est certaine. Quand j'écris, c'est
comme si je n'existais plus. Le plus souvent, le temps et moi on mène
une vie différente : le temps s'écoule sous mes yeux comme une
rivière et pendant ce temps-là je vieillis. Dans un sens, je
n'aurais pas vécu : j'aurai passé ma vie à regarder la vie. »
« Soit on est vierge dans cette
vie, soit on est brûlé par elle. Soit on est au bord, soit on est
au cœur. Le seul risque, c'est d'être un peu mélangé : c'est
la société. Soit on est jeté dans le brasier, soit on est un
enfant qui ne prend rien de cette vie parce qu'il ne peut converser
qu'avec les nuages. Moi, je fais partie de cette race-là. »
« Lorsque j'étais enfant, je
trouvais déjà que les choses n'allaient pas avec ce qu'on me disait
d'elles. Je me tenais tout le temps à côté du monde, du côté
muet de la vie qui refusait obstinément d'entrer dans la vie
convenue. »
« Sitôt qu'on naît, on reçoit
les éboulis de la vie. A peine nés, on se trouve sous les pylônes
électriques des bruits, des conventions, du peu d'amour. La seule
chance qu'on aurait, ce serait d'être élevés par des dieux. C'est
effarant de voir qu'on tombe à la naissance entre des mains qui sont
inexpérimentées, tremblantes, si peu sûres. Je ne suis pas une
exception. Tout, dans ma vie, découle d'une première note donnée.
Or, il se trouve que cette première note est sombre. Mon écriture,
c'est comme une étincelle qui a tout de suite son autonomie, et qui
provient pourtant du choc des matériaux les plus lourds et les plus
noirs. Ce que je vis de clair est sans cesse arraché au sombre, je
vais chercher mon amour jusque dans les enfers. »
« A vingt ans, il a fallu que
j'accepte d'être sur terre et ça n'a pas été facile. Ainsi, à
l'adolescence, j'ai commencé par écrire des poèmes qui n'étaient
pas spécialement roses. […] J'étais encore dans l'univers de
l'enfance, je ne voulais pas le quitter. C'était un état
d'agonie. »
« Le paradis, c'est peut-être
d'être sans défense sans se sentir menacé. L'écriture permet ça.
La plupart du temps, je vis une vie ordinaire et étrangement
menacée. Je suis comme un poisson qui a été rejeté sur le sable.
J'attends que l'écriture revienne me chercher : alors je renais
pour bientôt remourir. »
Ambre