lundi 12 janvier 2015

La lumière du monde


La lumière du monde. Il parle de lui, il parle de moi... Peut-être de vous ?
Je tiens à vous faire partager des extraits du livre de Christian Bobin, poète céleste,

Extraits :

« Pour ma part, j'ai parfois l'impression d'être totalement incapable d'aimer, et, en même temps, d'aimer plus que personne. Je vois très peu de monde, mais je peux être indéfiniment avec l'autre quand il est là. Quand je suis né, on m'a proposé le menu du monde, et il n'y avait rien de comestible. Mais quand l'autre est vraiment avec moi, je peux manger : je bois une gorgée d'air, je mange une cuillerée de lumière. »

« L'écriture a par essence une tendance autistique. Le poète est un autiste qui parle. […] Comme l'autiste en se taisant, le poète s'ensevelit en écrivant : il vit une gloire interne et il est mort pour le monde. »

« Encore tout enfant, j'ai quitté mon corps et je suis entré dans mes yeux. […] Je ne me suis jamais trop mêlé des affaires du monde. Je trouvais horrible le sort fait aux autres et à moi dans cette vie-là. J'étais déjà en retrait. J'avais un monde du dedans. […] J'avais en même temps un étonnement et une lassitude d'être au monde. De temps en temps l'étonnement prédominait, de temps en temps la lassitude. Si j'étais tant attiré par la lumière, c'est parce qu'il y avait un fond de ténèbres. J'étais très solitaire, plus familier des enfants que je rencontrais dans les livres que de ceux que je voyais dans la rue. La brutalité des garçons me rebutait. Les autres enfants s'accommodaient de la surface des choses avec une gaieté brutale. Moi, les groupes m'attristaient : je les ai toujours redoutés. J'étais toujours sur mes gardes. »

« Pour ma part, plus mon regard s'affine et plus mon absence est certaine. Quand j'écris, c'est comme si je n'existais plus. Le plus souvent, le temps et moi on mène une vie différente : le temps s'écoule sous mes yeux comme une rivière et pendant ce temps-là je vieillis. Dans un sens, je n'aurais pas vécu : j'aurai passé ma vie à regarder la vie. »

« Soit on est vierge dans cette vie, soit on est brûlé par elle. Soit on est au bord, soit on est au cœur. Le seul risque, c'est d'être un peu mélangé : c'est la société. Soit on est jeté dans le brasier, soit on est un enfant qui ne prend rien de cette vie parce qu'il ne peut converser qu'avec les nuages. Moi, je fais partie de cette race-là. »

« Lorsque j'étais enfant, je trouvais déjà que les choses n'allaient pas avec ce qu'on me disait d'elles. Je me tenais tout le temps à côté du monde, du côté muet de la vie qui refusait obstinément d'entrer dans la vie convenue. »

« Sitôt qu'on naît, on reçoit les éboulis de la vie. A peine nés, on se trouve sous les pylônes électriques des bruits, des conventions, du peu d'amour. La seule chance qu'on aurait, ce serait d'être élevés par des dieux. C'est effarant de voir qu'on tombe à la naissance entre des mains qui sont inexpérimentées, tremblantes, si peu sûres. Je ne suis pas une exception. Tout, dans ma vie, découle d'une première note donnée. Or, il se trouve que cette première note est sombre. Mon écriture, c'est comme une étincelle qui a tout de suite son autonomie, et qui provient pourtant du choc des matériaux les plus lourds et les plus noirs. Ce que je vis de clair est sans cesse arraché au sombre, je vais chercher mon amour jusque dans les enfers. »

« A vingt ans, il a fallu que j'accepte d'être sur terre et ça n'a pas été facile. Ainsi, à l'adolescence, j'ai commencé par écrire des poèmes qui n'étaient pas spécialement roses. […] J'étais encore dans l'univers de l'enfance, je ne voulais pas le quitter. C'était un état d'agonie. »

« Le paradis, c'est peut-être d'être sans défense sans se sentir menacé. L'écriture permet ça. La plupart du temps, je vis une vie ordinaire et étrangement menacée. Je suis comme un poisson qui a été rejeté sur le sable. J'attends que l'écriture revienne me chercher : alors je renais pour bientôt remourir. »
 
 
Ambre


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