Ils sont encore au lit. On voit qu'ils
n'ont rien à faire, pas d'emploi du temps, pas de planning. Du moins
pas encore. C'est elle qui se lève en premier. Comme toujours,
monsieur préférant roupiller le
plus longtemps possible. Elle
m'ouvre la baie vitrée et je peux alors découvrir l'ambiance de
cette nouvelle journée. J'ai tendance à préférer la nuit et faire
mes petits sommes le jour mais c'est tout le contraire pour monsieur
et madame. Mademoiselle. La nuit recèle pourtant plus de mystères,
d'intensité et de joies secrètes. Malheureusement, ils ne sont pas de mon avis et je m'adapte tout en souplesse.
Dehors, je sens déjà les rayons du
soleil éblouir mon pelage noir. Il va encore faire chaud et je vais
devoir trouver un endroit ombragé pour ne pas haleter. Je monte sur
le muret de la terrasse pour avoir une meilleure vue. Rien à
l'horizon pour le moment. Le calme drape le quartier d'un silence en
coton. J'entends le bruit d'un tintement en cascade que je connais si
bien. C'est l'heure du repas. Et c'est toujours elle qui s'en occupe.
Deux fois par jour. Matin et soir.
Je n'ai pas leur notion du temps et je
suis épuisée devant leur envie d'activités fébriles. Toujours
plus et toujours plus vite. J'aimerais les inviter à se poser comme
moi. A prendre le temps. Sentir l'air matinal et voir la vie d'un
regard perçant. Mais ils sont loin de tout ça. Elle s'active déjà.
Eau qui coule, assiette qui claque, soupir de balai. Ils vivent à
l'impératif. Je préfère le présent plus seyant.
C'est étonnant tout ce que je peux
entendre d'absurdités venant de leur part. Enfin, eux mais surtout
les bonhommes colorés qui apparaissent comme par magie sur un
rectangle noir. Je ne comprends pas toujours leurs propos mais c'est
souvent terrifiant.
Des hommes tirés à quatre épingles
et qui ont l'air de se prendre très au sérieux racontent d'une voix
monocorde, des fois énervée quand ils accueillent des invités, ce
qui se passe à l'extérieur de mon cocon. Ça ne me donne pas très
envie de découvrir le monde.
J'entends toujours les mêmes sujets.
Une guerre par-ci, un conflit par-là. Des hommes ressemblant à des
clowns acclamés par des foules criardes. Et des mots incessants qui
m'endorment souvent d'ennui : rigueur, austérité, crise,
économie... Leur vie n'est pas très amusante. Moi qui suis une
fervente adepte de la dolce vita, je suis interloquée par
leur mode de vie.
Ils ne s'arrêtent donc jamais ?
Je devrais même dire : vous ne vous arrêtez donc jamais ?
Des fois, ce sont des femmes qui
apparaissent mais ça revient toujours au même. Tout fini en
micro-conflit. Petite bombe prête à déclarer la guerre des mots.
Même sur des émissions terriblement abrutissantes et soi disant
portraitistes de la réalité, les gens s'insultent à en perdre leur
grammaire.
Est-ce donc ça votre monde ?
C'est éreintant, vous ne trouvez pas ? Cela explique sans doute
que vous n'ayez qu'une seule vie contrairement à nous.
Monsieur s'est levé. Tout devient
bruit, paroles et revendications même dehors où des mères sortent
avec leurs bambins gambadant comme des oies. C'est une chose que j'ai
comprise depuis longtemps. Ils revendiquent chaque jour le droit à
vivre une journée. Et ils passent tellement de temps à déblatérer
et partir en conjectures qui atteindraient la lune, qu'à la fin de
la journée, ils n'ont rien vécu de réel. Le bruit et la vitesse ne
sont que des faux-semblants de vie et chacun passe à côté étant
sûr d'atteindre un objectif illusoire.
Vous voulez mon avis ? Être
vivant, c'est en premier lieu sentir ! Sentir l'air dans ses
narines, le vent sur son pelage, l'eau sur ses moustaches. Sentir les
yeux fermés. Ressentir ce qui nous entoure. J'ai bien essayé de
leur faire comprendre en leur donnant l'exemple mais on ne me donne
pas assez de crédit. Qu'à cela ne tienne, c'est moi qui profiterait
de sept vies et pas ces bougres attachants malgré tout qui m'ont
déjà oubliée trop occupés à remplir un vide qui n'existe pas.
S'ils se posaient consciemment, ils ressentiraient le tout mais en
attendant, c'est mon privilège félin.
Ambre
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